Peut-on mesurer l’innovation par les brevets ?
La métrique la plus fiable de l’innovation est généralement le nombre de brevets déposés. C’est un fait et si vous fréquentez de près ou de loin l’ensemble des réseaux occupés à développer les entreprises en France, vous ne manquerez pas de le constater rapidement. Je vais bien entendu répéter que quand on a dit cela, on n’a parlé que d’innovation technologique, c’est-à-dire les “inventions” au sens littéral du terme et non pas réellement de tout ce que peut être l’innovation pour une entreprise. Ceux qui me suivent régulièrement commencent je pense, à bien assimiler cette idée importante.
Mais même si l’on ne parle “que” d’innovation technologique, est-ce que les brevets et par extension toute forme de protection de la propriété intellectuelle, sont une bonne mesure de l’innovation technologique ? En peu de mots : est-ce qu’une entreprise qui dépose beaucoup de brevets, produit beaucoup d’innovation technologique ? Et accessoirement : sécurise-t’elle une meilleure place que ses concurrents sur son marché ?
Pour comprendre de quoi nous parlons considérons les téléphones mobiles. Ils sont caractéristiques des choix technologiques faits aujourd’hui. Ces produits ne servent plus à leur usage initial qui était très focalisé : communiquer par la voix en déplacement. Il suffit d’ailleurs de lire n’importe quel test de téléphone mobile sortant ces jours-ci : combien parle encore de la qualité de réception et d’écoute ? Combien en revanche parle dans les dix premières lignes de la qualité de l’écran, de l’appareil photo, voire du GPS ? Un produit encore plus complexe comme une voiture va intégrer encore plus de technologies disparates et complexes. Qui pensait sérieusement il y a encore quelques années, voir apparaître des cellules photovoltaïques sur le toit de voitures de série comme la Prius ?
On comprend donc qu’un produit de ce type n’est plus aujourd’hui décrit par un seul brevet, comme l’avait fait J. Osterhoudt en 1866 avec la boîte de conserve à clef pour les sardines. Si nous reprenons l’exemple de la Prius, il est possible de classer les technologies qu’elle utilise en une vingtaine de grands domaines, chacun se ramifiant de façon complexe. Les panneaux photovoltaïques sont eux-mêmes une composante de l’un de ces domaine. Et cette comoposante envoie elle-même à des dizaines d’autres technologies : le rafinage de composés chimiques particuliers, les semi-conducteurs, le stockage de l’électricité, les technologies de l’information… Au total une Prius pèse 2.000 brevets ! Un produit industriel aujourd’hui est donc déjà basé sur un bouquet plus ou moins grand de brevets imbriqués les uns dans les autres. Une première limitation de l’analyse du nombre de brevets comme marqueur de l’innovation est donc déjà présent : une Prius est-elle plus innovante qu’un iPhone ? En terme de brevets oui. Mais une Prius reste une voiture qui satisfait exactement les mêmes usages qu’un modèle essence des années 80. Alors qu’un smartphone moderne a lui radicalement changé la façon de communiquer et de rechercher de l’information à tout instant.
Mais même un iPhone s’appuie sur au bas mot 200 brevets technologiques. Et les limites autour de ces brevets sont bien entendu assez difficile à positionner, comme le montre les nombreux procès en propriété intellectuelle. Apple et Nokia sont ainsi depuis longtemps en procès simplement sur la façon dont leurs smartphones se connectent à internet… Un produit industriel significativement plus complexe comme le nouveau réseau 4G, s’appuie lui sur 30-40.000 brevets directs et environ 80.000 brevets déjà existants. Alors que ici encore l’innovation usager est pourtant assez simple à décrire : permettre une connection plus rapide et plus stable.
Bien entendu nous ne parlons pas ici de TPE / PME. Il n’est guère envisageable, ne serait-ce qu’en raison des coûts administratifs, d’imaginer qu’une entreprise de moins de 30-50 personnes puisse développer des produits protégés par une centaine de brevets. Pour les mêmes raisons de coûts ces petites entreprises technologiquement innovantes, qui produisent pourtant des brevets, vont le faire quand cela sera jugé inévitable. Nous retrouvons alors dans ce profil d’entreprises une approche du brevet qui correspond plus à celui de la boîte à sardine : un brevet important protégeant un produit, servant à un ou plusieurs usages innovants.
Pour conclure si nous considérons maintenant un écosystème comme un pôle de compétitivité où se côtoient startups, TPE, PME et grandes industries, quelle logique de lecture appliquer à cette métrique du brevet ? Si cette logique elle même ne tient pas bien la route, elle perd complètement son sens pour comparer des tailles d’entreprises hétérogènes…