L’échec de la théorie des jeux en entreprise
La théorie des jeux est une voie mathématique qui a été ouverte pendant la période de la guerre froide, afin de modéliser les comportements probables de différents protagonistes d’un conflit en fonction des bénéfices et pertes probables. Dès le départ elle a été utilisée dans le contexte de l’économie, qui pour les pays occidentaux a toujours été considérée comme un champ d’application direct de la stratégie martiale. Ce dernier point appelle à lui seul de nombreux commentaires. Et j’en avais déjà un peu parlé il y a plusieurs mois au travers du jeu des échecs et du jeu de go. Mais pour revenir à la théorie des jeux, qui n’en est pas moins une branche très intéressante des mathématiques, elle continue périodiquement d’être remise en selle dans des situations où empiriquement elle ne s’applique pas. L’actualité aidant, de nombreuses personnes ont essayé de forger une théorie des jeux appliquée au management et à la stratégie d’entreprise.
En 1982 Güth, Schmittberger et Schwarze se sont attachés à démontrer de façon très pragmatique que la théorie des jeux avait surtout une dimension comportementale et sociale. Ils ont pour cela inventé le jeu de l’ultimatum : donnez 100 euros à un sujet (A) et demandez-lui de partager avec un sujet (B). (A) peut décider comme il le souhaite de la part des 100 euros qu’il va partager avec (B), mais si (B) refuse le partage vous reprendrez la somme et aucun des deux n’en bénéficiera. La théorie des jeux classique indique que puisque (B) part avec zéro euro, dès lors que (A) accepte de lui donner ne serait-ce que 1 euro, (B) aura un gain objectif et acceptera le don… laissant (A) repartir avec 99 euros. Bien entendu la nature humaine étant ce qu’elle est, quand nos trois chercheurs ont réalisé ce jeu avec des vrais sujets, ils ont vite constaté que si la somme partagée n’était pas relativement équitable (au moins 40% du pactole de départ), (B) refusait tout net le partage. Résultat ô combien inexplicable dans le cadre de la théorie des jeux, mais parfaitement compréhensible par un enfant de 12 ans !
Et cette expérience finalement dit tout de l’application de la théorie des jeux à la stratégie d’entreprise. C’est une chose de peser les choix de deux super-puissances nucléaires a priori rationnelles, dans leur degré d’engagement militaire. Mais transposer cela à la complexité sociale et comportementale d’un réseau de chefs d’entreprises, de fournisseurs et de clients n’est guère possible.