La Chine et l’innovation de prix 3/4
Pour poursuivre mes digressions sur l’innovation de prix à la lumière du marché chinois, je souhaite illustrer quelques positionnements marketing qui sont induits par cette période de dépression économique, et qui résultent de stratégies “just good enough”.
Commençons par le lancement du Bic Phone, téléphone mobile non pas à usage unique, mais offrant un service simple et direct pour 49 € : vous pouvez entrer dans un bar-tabac, acheter un téléphone mobile, le déballer et… téléphoner tout de suite ! Ce téléphone ultra-basique a donc pour seule promesse de fonctionner immédiatement à un coût modique. Bic avec ce produit contourne la législation obligeant l’enregistrement des nouveaux numéros de téléphones, en permettant de téléphoner sans formalité pendant 9 min. Ensuite, pour pouvoir consommer le forfait prépayé et ses 51 autres minutes, le renvoi d’un formulaire reste indispensable. Ce simple positionnement permet de débloquer de nombreux usages : remplacer son mobile habituel tombé par terre ou oublié, utiliser un numéro temporaire pour rechercher un emploi ou vendre son appartement, dépanner les étrangers de passage avec un numéro local, etc.
Si nous revenons sur l’industrie automobile, je vous suggère de suivre avec un regard particulier les évolutions de l’offre des constructeurs. Nous avions parlé de la Logan bien entendu, mais il ne faut pas oublier la Tata qui débarque sur le marché indien à 2.500 $, soit environ 1.500 € ! Ne rêvez pas, nous la trouverons sur le marché français entre 6 et 7.000 €, mais tout de même… Quelle avancée par rapport au lancement de la Smart il y a quelques années, ou à ses succédanés actuels comme la Toyota IQ à 13.000 !
Dans un autre domaine, celui des médias, Canal+ fervent défenseur des services de haute qualité sans compromission sur les prix, s’apprête lui aussi à proposer finalement des offres plus simples et moins chères. C’est un petite révolution stratégique quand Jean-Bernard LEVY annonçait en 2007 refuser catégoriquement cette approche, en arguant justement que les foyers préféraient “monter en gamme” et “passer de la Clio à la Laguna”. Or la TNT est venue proposer des alternatives gratuites avec une très haute qualité technique. Continuer de payer des bouquets satellites au prix fort devient certainement plus compliquer à justifier en 2009. Canal+ a déjà amorcé un repositionnement efficace et malin avec une offre plus compacte et visible uniquement sur un ordinateur avec une clef USB permettant de recevoir la TNT. D’autres offres devraient suivre.
Enfin dans la grande distribution, Carrefour annonce l’extension de ses marques de distributeurs (MDD) à 40% avant la fin de l’année. La stratégie est ici beaucoup plus complexe, puisque ces MDD sont très segmentées avec des produits fondamentaux, mais aussi des produits haut de gamme, ou issus du commerce équitable. Mais je ne peux m’empêcher de penser que pour une part cette anonymisation des marques fabricantes, recouvertes par la super-marque Carrefour, participe sur les produits de bases, d’une certaine idée du discount. Le consommateur imagine bien que sur du papier toilette, la centralisation des achats massive et le pouvoir de négociation de Carrefour, doit permettre en théorie d’acheter les yeux fermés le produit au meilleur prix. L’augmentation de la part des MDD, y compris du coup sur des segments plus onéreux est entraînée par cette idée. Finalement si j’achète chez Carrefour des plats conçus par un chef étoilé, plutôt que de me déplacer chez le chef en question, c’est bien que je recherche la promesse d’un service dépouillé de toute fioriture qui devient pour moi accessible.
Il reste à savoir ce qui est superflu dans le service (mais qui peut tout de même apporter de la satisfaction ou du plaisir), et ce qui est le cœur impossible à enlever. Pour un téléphone ou une voiture, sans être simple, l’analyse est assez objective. Pour un plat cuisiné, ou des services médias le travail est beaucoup plus difficile…