Avantage au premier entrant ?

De nombreuses idées reçues perturbent notre façon de piloter une entreprise, que ce soit en phase de création ou même très longtemps après. Une de ces idées reçues est celle de la prime au premier entrant. C’est une évidence partagée par tous : il vaut mieux être le premier sur un marché pour pouvoir le domestiquer, bénéficier de la reconnaissance de tous, renforcer sa marque et maintenir son avance sur la compétition, qui inévitablement finira par essayer de vous déloger. Cette stratégie de prime à l’entrée (“first mover advantage”) a été formalisée à la fin des années 80 par deux professeurs de Stanford.

Il est facile de trouver de nombreuses entreprises autour de nous qui se focalisent sur l’idée qu’elles courent une course où la médaille est remportée par le premier arrivé. C’est le cas de la majeure partie des startups, qui pensent qu’elles n’ont que pour seule et unique mission de devoir créer une technologie avant tout le monde. Et qu’une fois le brevet empoché, la messe sera dite pour la concurrence. Un article sur un blog de la Silicon Valley que je lis régulièrement faisait le point sur cette mythologie en rappelant un proverbe américain : les pionniers ont des flèches dans le dos

En effet si l’on regarde le succès des premiers entrant, il n’est statistiquement jamais au rendez-vous. Connaissez-vous l’inventeur de la roue pneumatique ? De la machine à écrire ? De la télévision ? Du transistor ? Probablement pas.

Mais le mythe du premier entrant reste coriace. Un livre que je recommande régulièrement à mes étudiants en MBA, propose bien entendu que ce sont souvent les seconds entrants qui, mieux avertis et mieux préparés, remportent souvent la mise. Microsoft ou Amazon étant de splendides exemples de seconds entrants qui dominent leur marché depuis des années.

A titre d’illustration, j’ai exhumé cette fantastique vidéo de Computer Chronicles (1989) qui pendant presque trente minutes fait le tour de technologies qui n’ont jamais atterri sur un marché. Et pourtant en terme d’informatique mobile tout y est : ultraportables, écran tactiles, batteries révolutionnaires, stockage sur cartes…

Le fait de ne pas croire en la prime au premier entrant est souvent corrélée à un manque de foi dans le mythe de l’océan bleu comme stratégie de développement. Entendons nous bien, je suis extrêmement séduit par les innovations de rupture, mais en tant que conseil je sais à quel point elles sont généralement létales pour l’entreprise qui les porte la première.

Pour la plupart des startups en particulier, il est important de se focaliser soit sur une innovation technologique (allons-nous arriver au bout de notre R&D ?), soit sur une innovation de marché (allons-nous arriver à vendre notre produit ?). Tenter à la fois d’inventer une nouvelle technologie et en même temps de créer un marché pour celle-ci est souvent simplement idiot. Il est déjà extrêmement délicat de se structurer pour soutenir un axe d’innovation, mais deux à la fois c’est généralement une course à l’échec. Et cela n’est probablement pas intellectuellement très satisfaisant pour nous autres français, mais il reste plus payant de laisser un autre essuyer les plâtres, d’en tirer les conclusions et de pouvoir ensuite créer un projet qui tienne la route.

Ceci étant dit il ne faut surtout pas non plus s’interdire d’être visionnaire et de prendre les risques les plus grands pour révolutionner son marché. Il faut cependant comprendre le danger et surtout, surtout, surtout… ne pas essayer de convaincre que c’est là la meilleure stratégie. Ce serait perdre immédiatement tout crédit auprès de n’importe quel investisseur avisé.