Ce que veut dire Wikileaks pour les entreprises
Il n’est pas inintéressant de considérer le mélodrame orwellien de Wikileaks par le petit bout de la lorgnette. Oublions donc (un peu) l’aspect politique de cette histoire pour comprendre ce qu’elle veut dire pour les entreprises, leurs marchés et leurs employés. Wikileaks fait finalement exploser mondialement un gouffre sociologique et comportemental, qui sépare la génération Y (et une partie de la génération X) de celle des baby-boomers. Dit autrement, je vois là une manifestation de la façon dont les « digital natives » fonctionnent naturellement. Je m’explique…
Quand une génération est née avec internet, elle est habituée à partager librement l’information (mp3, wikipedia, …), utilise Facebook, Twitter, Linkedin pour être en contact continu avec leur nuage social, s’alimente en news par RSS ou des blogs… Cette génération échappe de plus en plus au grand principe d’asymétrie de l’information : celui qui a l’information détient une position de force, il peut contrôler ce qu’il échange ou non et les receveurs sont plus ou moins privilégiés avec une information fraîche ou riche. Est-ce une bonne chose ou une mauvaise ? Forcément exécrable quand cela emballe des marchés financiers à l’échelle de la microseconde et forcément remarquable quand des crises mondiales sont mises à jour par Twitter. Et voilà donc que Wikileaks arrive déclarant la fin plus ou moins complète de cette asymétrie. On se rend compte que l’information la plus intime, la plus contrainte par des besoins de secrets et de confidentialité, peut se retrouver du jour au lendemain sur la place publique et disponible pour tous.
Si je reviens donc à l’entreprise, il me semble important de comprendre que cet évènement n’est pas choquant pour nos digital natives. C’est une chose naturelle. Cette génération est maintenant arrivée dans le monde professionnel et agit dessus avec ses réflexes. L’époque où un informateur allait contacter un journaliste dans le plus grand secret pour lui transmettre un micro-film caché dans le talon de sa chaussure est obsolète. Tout cela est d’ailleurs bien fastidieux. Télécharger quelques Go de documents sur un serveur un peu robuste demande beaucoup moins d’efforts. Qui d’ailleurs en entreprise n’a pas été confronté à un fichier de prix d’achat confidentiels envoyé par erreur à un client ? Vous savez le fameux fichier de prix de vente, avec une colonne cachée avec la marge — oups. Qui croit encore à un monde industriel où les brevets permettent sans rire de sécuriser sa technologie, surtout quand vous avez outsourcé votre production à des pays qui culturellement ne reconnaissent pas vraiment ce droit de propriété ?
Volontairement ou involontairement, l’ouverture de l’information dans tous les domaines s’accélère considérablement : notre société est infusée par l’information et il est vain de chercher à contrôler tous les flux. Comment alors agir avec des clients, des fournisseurs et même ses propres employés dans ce nouveau monde ? En réalité le choix est mince : nous allons devoir embrasser l’ouverture et vivre de plus en plus dans un monde rendu plus symétrique chaque jour. Le phénomène qui marque d’ailleurs l’année 2010 pour moi est l’arrivée de la consommation sociale dans le coeur des marchés : nous allons sur Amazon voir les recommandations de lecture pour choisir un livre, le nombre de « J’aime » sur Facebook nous incite à acheter des chaussettes, nous nous échangeons les bons de réduction locaux à l’échelle globale, etc. La recommandation sociale de tel ou tel produit sur internet devient la norme en B2C et je gage que le B2B va suivre rapidement.
C’est une époque d’opportunité remarquable pour les moins de 40 ans qui ne se posent aucune question sur ces enjeux et qui viennent gaiement casser nos paradigmes de business et nos modes de travail. J’attends donc avec une certaine impatience de voir ce qu’il va sortir du startup weekend dimanche soir à Marseille. Ce qui est certain, c’est que cela va me surprendre !
Update :
En complément je vous recommande d’écouter Place de la Toile sur France Culture, dont le dernier épisode était dédié aux souterrains d’internet, le réseau TOR, le “darknet”, etc. Ainsi que l’article simple et didactique d’Owni sur Wikileaks.