Un bref retour sur les 15 ans de Genopole

Je participais mardi 21 janvier aux 15 ans de Genopole à Evry avec un rôle particulier, celui d’animateur de la journée. Rôle central mais très modeste, il s’agissait essentiellement pour moi d’assurer la fluidité de la journée avec les nombreux intervenants professionnels et politiques.

Ce type de journée est toujours assez spécial pour l’animateur. La journée avait déjà été chorégraphiée par l’équipe de Genopole et il ne me restait plus qu’à dérouler le programme avec eux, tout en glissant par petites touches un peu de sens supplémentaire au travers de questions aux intervenants ou de conclusions d’étapes. De mon côté — les rares fois où j’ai le temps et l’envie de jouer ce rôle — c’est une formidable occasion de participer à ce type d’évènements aux premières loges.

Pour ceux nombreux, non-spécialistes des biotechs, qui ne connaissent pas Genopole, il n’est peut-être pas inutile d’écouter son directeur Pierre TAMBOURIN en parler sur France Inter.

Fin de blues pour la génération X

Cette institution que je ne connaissais pas plus que cela jusqu’à présent, représentait tout de même quelque chose d’assez spécial. Comprenez-moi : né en 1967 je suis un pur produit de la génération X.

Mais si, rappelez-vous, la génération coincée entre les baby-boomers qui ont à eux seuls flingués une grosse partie du futur économique, social et écologique de la planète, et la génération Y que vous êtes obligés de subir alors qu’ils arrivent dans votre entreprise avec leur culture du LOL Cat et du poke sur Facebook. Si la génération X restera dans l’histoire, cela ne sera pas pour grand chose, si ce n’est pour avoir été la première à avoir inventé le concept des Mac Jobs. Logiquement, à la soutenance de ma thèse dans les années 90, mes meilleurs amis m’avaient offert un T-shirt élégamment sérigraphié “Post-doc? I’m ready to work at Mc Donald’s” :

Nos systèmes centraux avaient disjoncté, brouillés par l’odeur des photocopies, du correcteur, le parfum des titres de bourse et le stress sans fin des boulots absurdes faits à contre-coeur et sans gloire. Douglas Coupland

Mais même à cette époque de perspectives molles sur mon avenir professionnel, le sens de la vie et le manque d’opportunités tout azimut, il y avait encore quelque chose qui faisait rêver certains jeunes scientifiques. Et le projet de séquençage du génome humain était l’une de ces choses.

Penser que peut être, dans une dizaine d’années, l’effort conjugué de milliers de chercheurs sur la planète, du doublement de la puissance informatique tous les 18 mois, allaient permettre de lire l’entièreté du patrimoine génétique d’un être humain était magique. Nous avions raté la mission Appolo 11, parce que bébés et incapables d’en décoder le sens sur les tubes cathodiques noir et blanc de l’époque, mais nous avions cela. Après le macrocosmos, le microcosmos et tout cela…

Le séquençage du premier génome humain démarré en 1990 aboutira finalement en avril 2003. Parmi les onze centres de recherche mondiaux presque tous anglo-saxons, qui avaient participé à cet effort colossal (avec ses nombreuses polémiques, jalousies, mesquineries et crises d’ego propres au monde la recherche), un seul centre français était présent : le Genopole d’Evry… Notre Baïkonour en quelque sorte.

Du coup découvrir ce centre, quinze ans après sa création et sa contribution majeure à l’aventure scientifique de ma génération, a eu quelque chose d’assez touchant et stimulant.

Touchant, pour les raisons finalement évoquées ci-dessus. Presque vingt ans après la fin de ma thèse et d’une carrière prévue dans la recherche, me retrouver non pas dans l’amphithéâtre comme un acteur scientifique, mais sur scène en tant qu’acteur économique avait quelque chose de saisissant, de très agréable et d’un peu nostalgique. Quelque chose qui tient d’un horripilant opus de Marc Lévy, une envie que l’on a dû tous avoir de pouvoir nous envoyer un message dans le passé, pour nous dire “Non, mais c’est OK ça va très bien se passer, ne stresse pas”.

Peut-on mesurer directement l’innovation ?

Stimulant aussi, puisque cela a été l’occasion aussi de toucher du doigt d’une autre façon ce sur quoi je travaille aujourd’hui avec des start-ups ou des grands groupes : le fait que l’innovation est une mécanique imprévisible et qu’il faut savoir faire sa paix avec cette imprévisibilité.

En effet, si l’on ne peut pas dire que le séquençage du génome humain n’aura servi à rien, il faut bien reconnaître que les promesses des années 90 pour lesquelles il a été financé, n’ont pas ou peu été respectées. Pas par malice évidemment, mais parce que la lecture de notre ADN a généré plus de questions que de réponses finalement. Les réponses attendues (soigner “le” cancer, amoindrir la dégénérescence physiologique du vieillissement, trouver une clef de sortie des maladies auto-immunes, etc) se sont dans certains cas même éloignées. Bien sûr, beaucoup de batailles ont été gagnées, mais les vrais succès ont aussi été complètement à côté du terrain de jeu prévu :

  • La robotisation de nombreux processus industriels qui est aujourd’hui banale est venue en grande partie de l’univers des biotechs ;
  • Les mathématiques du traitement statistique des données en grands volumes et de l’analyse des images ont aussi explosé depuis la fin des années 90 avec des applications dans tous les univers techniques et économiques (y compris avec le mot-clef du moment “big data”) ;
  • Dans les biotechs, la génétique a cédé la place à la génomique, puis à biologie de synthèse et à la bioproduction de choses aussi essentielles que nos carburants du futur.

Il est assez facile de comprendre sur le papier, cette approche non-linéaire de l’investissement technologique pour atteindre un horizon incroyablement éloigné (aller sur la lune, séquence le génome, modéliser le cerveau humain), qui génère en pratique des résultats imprévisibles et des transformations sociales de grande échelle. Et mon dernier article y faisait encore référence en essayant de le déconstruire techniquement sous une de ses facettes. Mais comprendre cela en profondeur et continuer à l’assumer dans une société en crise transversale me semble beaucoup plus complexe et de moins en moins réalisable.

Dans cette optique et lors de la journée des 15 ans de Genopole, j’ai été surpris par l’élégance de l’équipe de Pierre TAMBOURIN qui a choisi d’axer toute la matinée sur la présentation de projets plus ou moins reliés à leur institution, sans en être des produits directs. Une façon modeste et vitale de montrer comment l’innovation peut se propager de façon concentrique et imprévisible par effet de réseau, sans chercher à “vendre” au premier degré leur institution.

Ainsi, lors de la matinée six projets ont donc été présentés : le laboratoire de créativité de Renault, de l’énergie solaire thermodynamique, un pôle de compétitivité dédié au marché des personnes âgées, de la modélisation et de l’intermédiation urbaine par Dassault et un robot d’assistance à la neurochirurgie.

Nous sommes bien loin de la génétique pure, mais nous sommes pleinement dans l’illustration des impacts collatéraux d’une recherche fondamentale ambitieuse. Plus que de livrer un résultat hautement symbolique et médiatique, les sous-ensembles de résultats associés dans diverses autres industries doivent être tout aussi valorisés et compris. Une lecture au premier degré de ce qu’est Genopole vous conduirait à penser que maintenant que le résultat est atteint, tout a été joué. Ce serait ne pas comprendre la dynamique entre la recherche et l’innovation.

En ce qui concerne la recherche, certes de nouveaux horizons sont apparus (je les évoquais notamment avec la biologie de synthèse), mais peu importe finalement. Le génome de l’homme est consultable en ligne par tous (ici par exemple) et vous n’en ferez rien ou pas grand chose. Le moteur scientifique / technologique tourne avec sa logique interne sur le long terme. Le moteur de l’innovation est autre, il se nourrit du premier, mais s’occupe lui de changer la société et les marchés.

Quand les politiques investissaient dans le long terme

Le raccourci symbolique de tout cela, ramené à ma propre expérience, est quelques semaines après la vraie-fausse bourde de l’un de nos ministres à la conférence LeWeb :

Nous devons ralentir l’innovation pour protéger les vieux business (sic).Arnaud MONTEBOURG

De mon côté, je regagnais le mardi soir la gare de Lyon avec un véhicule flambant neuf affilié à la société Uber, chose qui aurait été impossible sans les diffusions des technologies indirectement issues de structures comme Genopole depuis quinze ans :

Si les taxis, sont eux-mêmes devenus un sujet techno-politique tendu, nous commençons à peine à voir émerger des débats grand publics sur la place de la génétique, alors qu’en 2014 le séquençage de notre ADN pourrait devenir un produit de grande consommation, voir même une prochaine piste pour que Google capture encore plus de nos informations (très) personnelles :

Un clin d’oeil et un grand merci en tout cas à toutes les équipes qui ont été impliquées dans ces projets tout au long de ces dernières années.

J’espère que nos politiques de plus en plus pressés, vont continuer à comprendre les implications sur le long terme de leurs engagements dans la réalisation de ces projets ambitieux, alors que l’audimat ou leurs followers sur Twitter eux, ne les perçoivent pas. De mon côté, je pense comprendre de mieux en mieux que les plus hauts niveaux de la puissance publique sont à peu près sortis de cette zone de compréhension et d’engagement, car irrémédiablement plongés dans l’enfer de la médiamétrie. Alors que souvent encore, comme à Evry ou à Grenoble, ce sont les maires et leur conseil municipal qui gardent encore une vision et une capacité d’engagement à l’échelle d’une ou plusieurs décennies.

Cela se paye bien évidement par une certain forme d’oligarchie et probablement de clientélisme, pas forcément très raccord avec un système démocratique parfait. Et cela peut aussi conduire à une dégénérescence dans la ploutocratie telle que nous la visons à Marseille depuis l’après-guerre… Mais c’est un risque à prendre.

Démarrer 2014…

En conclusion de tout cela (s’il y en a une), je serai à LIFT14 Genève dans quelques jours, où j’ai la chance d’être speaker sur un Open Session de 5 minutes.  Cela va être court mais diablement intéressant. Le défi sera pour moi d’essayer de toucher du doigt cette culture du risque et de l’innovation en aussi peu de temps avec l’ensemble des participants. La session dans laquelle j’interviens sera ouverte par le CEO de Logitech et la Directrice de la Créativité de la R&D du New York Times. Y participera aussi Philippe SILBERZAHN de l’EM Lyon, dont je vous conseille chaudement la lecture du blog, où beaucoup de réflexions que je peux avoir avec mon mauvais esprit habituel, semblent se croiser et se recroiser.

Après LIFT14, je pars donner une série de cours à l’université de Shanghai, dans le cadre du programme MBA de Kedge Business School. Cela va me laisser pas mal de temps sur place en dilettante pour souffler un peu dans une ville que j’aime beaucoup (en dépit de sa pollution insupportable). Si vous connaissez des entrepreneurs ou des programmes de startups intéressants sur place, n’hésitez pas à me faire signe. Je serai ravi d’échanger avec eux !